vendredi 6 septembre 2013

Jour 68 - Chestertown, Delaware, US

Yeeep ! C'est à nouveau moi !

La dernière fois j'étais obligé de vous quitter à cause de la fermeture de la bibliothèque, écrivant que je ne reverrais plus Kevin, mon bienfaiteur du moment. Finalement, alors qu'il m'avait quitté il y a plus d'une heure de cela, je recroise son chemin juste en sortant du bâtiment.
- Cela te dit que je te sorte de la ville, cela sera plus pratique pour faire du pouce !

Comment refuser ?!

Mais après encore 30 minutes de route, il me dépose un peu plus loin que prévu, pile sur la bonne route... sans avoir pu s'empêcher de me payer encore un peu de nourriture, de  me communiquer sa joie de vivre et sa gentillesse naturelle. Mais cette fois-ci, nos chemins se séparaient pour de bon.

Comme je l'écrivais, mon prochain objectif étais la région de Lancaster, communément appelée "Dutch Country", terre d'asile de cette secte allemande, les Amish, venus trouver la sécurité et l'ouverture d'esprit du nouveau monde. Dutch à ne pas confondre avec les Hollandais que l'on nomme de la même façon en anglais n'est donc que la transcription de la prononciation anglaise du mot "Deutsch" ou Allemand... en allemand.

L'idée était de trouver une ferme amish qui voudrait bien m'accueillir pour quelques jours et ainsi me permettre de découvrir comment ils vivent.
Je n'atteindrais pas la Country le premier jour et après avoir couché à proximité d'un petit village, je reprends la route un jour après avoir quitté Kevin et Cape May.
Je craignais d'avoir devant moi un long périple, non pas en distance, mais vu le nombre de routes différentes que j'allais devoir emprunter cela m'obligerait à avancer par petites rides. J'ai presque honte d'avoir pu douter de la bonne étoile qui suit mon voyage depuis son début.

Première personne, un surfeur de Philadelphie qui rentre chez lui : 1 h 30 plus tard, il me dépose là où les choses devraient se compliquer. Je quitte les grosses autoroutes pour m’emmêler dans un labyrinthe de routes aux tailles diverses et variées. La suite va être longue... ou pas.
D'une, je n'ai pas dû attendre plus de 5 minutes pour trouver mon prochain conducteur, et de deux, il s'en va à Lancaster ! J'adore ce voyage !
Et le pire, c'est qu'il y a un trois ! Il a grandi dans cette région et la connait comme sa poche. Et comme je l'ai déjà dit souvent, nous voilà partis à travers les petites routes de cette région plutôt plate, où entre deux champs de soja ou de maïs, se détachent des fermes tous les 5 miles, à chaque fois, composées de plusieurs bâtiments, au minimum deux ou trois granges et souvent deux silos a grains, sans compter les corps d'habitation. Je verrai très vite que les granges aperçues au loin sont avant tout des séchoirs à tabac coupé durant ces 3 dernières semaines. Ainsi, je comprends très vite que l'économie des agriculteurs du coin repose essentiellement sur la culture du maïs, du soja et du tabac. Ajouter à cela quelques éleveurs de vaches à lait, un peu de citrouilles à droite à gauche, et vous avez globalement le fond du tableau.

Mon guide touristique personnel, non seulement heureux de me faire découvrir sa région, se donne la mission de m'aider à trouver la ferme que je recherche. Avant cela, impossible selon lui, de ne pas s'arrêter dans ce "dinner", sorte de juste milieu entre un fast-food et un restaurant. La rapidité et le choix du fast-food, avec la qualité d'un restaurant moyen. Tout pour plaire !
J'y dégusterai le "Phili-cheese steak", spécialité du coin bien à mon goût, et pas la peine de préciser que je n'aurai même pas la possibilité de vouloir payer ma note.
Cette grosse assiette engloutie (pour un affamé comme moi, les ENORMES portions américaines, qui sont juste la norme, me donnent à chaque fois le sourire !), nous nous rendons dans une première ferme amish.
Un homme à la longue barbe blanche, sans moustache, des cheveux mi-longs plaqués sur son crâne, une chemise blanche plongée dans un pantalon à salopette noire retroussée sur ses pieds nus nous accueille.
Il n'a pas besoin d'aide personnellement, mais nous conseille d'aller frapper à la porte d'un "English Farmer" (ou "agriculteur anglais", les Amish appellent tous ceux qui ne sont pas Amish des "anglais"), qui sera sûrement ouvert à quelqu'un comme moi. Il ajoute que nous sommes  dimanche, jour sacré pour ces catholiques ultra-pratiquants : cela était le pire jour pour aborder des Amish. Zut !

On ne perd pas espoir et après quelques ratés, nous finissons pas trouver cet agriculteur que tous les Amish croisés sur notre route semblaient connaître.
Dick et Kareen nous accueillent, et après quelques minutes à expliquer ma situation, me voilà embauché !
Mon bienfaiteur en voiture me quitte, après m'avoir consacré au minimum 2 h, entre les détours touristiques et l'aide dans ma recherche. J'adore ce voyage !

Dick est un agriculteur classique : tabac, maïs, soja, citrouille, avec toutes les machines modernes de notre époque. Rien de très "old style" comme j'espérais découvrir en venant ici. Au début, je suis un peu déçu, mais c'était mieux que rien. Je savais que je ne trouverais aucune porte amish ouverte ce jour-ci, et je nourrissais le doux espoir qu'en restant dans le coin quelque temps, j'aurais l'occasion de découvrir les Amish, au moins superficiellement... encore une fois, tout fût bien supérieur à ce que j'avais espéré !

Depuis mon "nid", dans la grange
Dick a cela de particulier qu'il est l'un des rares "English Farmer" à entretenir de proches relations avec ses voisins Amish. Leur rendant des services réguliers, prêtant ses machines, son pick-up par exemple. Il possède également un van qui sert à transporter les Amish ayant besoin d'une course. Son conducteur ? Un bonhomme qui débarqua un jour devant sa porte, un peu comme moi, cherchant un taff et un abri, pour quelques semaines, le temps de retrouver un travail... c'était il y a 3 ans maintenant. Mike, c'est son nom, habite toujours dans une petite partie de la grange de Dick et est devenu le taxi officiel pour tous les Amish du coin, et cela le tient occupé de tôt le matin jusque tard le soir. Trop vieux pour retrouver un travail dans cette Amérique au marché du travail impitoyable, Dick est un peu son sauveur. Pas étonnant donc, si ce dernier m'a ouvert ses portes, de sa grange en fait, naturellement.
Oui, sa grange, car les chambres de ses enfants, maintenant partis depuis longtemps, ressemblent aujourd'hui à la caverne d'Ali Baba et sont inhabitables. Je saisis donc l'occasion pour réaliser ce rêve, cliché de vagabond : dormir "sur la paille" !
A 3 m au-dessus du sol, j'aménage mon nid qui m'accueillera les trois prochains jours, au sommet de ces bottes de paille.

Au réveil le lendemain, le programme est déjà  bien fourni : au matin, nous allons accrocher les derniers plants de tabac coupés récemment dans la grange, et durant l'après-midi nous irons ramasser dix grosses caisses de citrouilles. Les premières de l'année !
Les feuilles de tabac, longues d'au moins 1 m, poussent autour d'un seul pied très dense et résistant d'une dizaine de diamètre, un peu moins peut-être. Il se coupe le plus bas possible, et on y pratique un trou tout en bas, par lequel on l'enfile sur une baguette de bois d'1,50 m. 8 plants de tabac sont ainsi accrochés sur ces bouts de bois, la tête en bas, et entreposés pendant la récolte sur de longues charrettes tirées par des tracteurs. C'est ainsi que je les découvre, à l'entrée de la grange. Le travail qui nous attend maintenant consiste à entreposer les plants de tabac toujours sur leurs baguettes, sur les trois étages de la grange. Ces dernières reposeront entres deux grandes poutres en bois, où les hommes jouent les équilibristes, recevant les baguettes du bonhomme en-dessous de lui, et ainsi de suite. A part les tracteurs, rien n'a changé depuis longtemps ! 
Tout ira bien plus vite que prévu lorsque nous verrons arriver, les uns après les autres, plusieurs personnes, dont un Amish, venu aider dans cette entreprise, que tout agriculteur sait longue et fatigante. Finalement, au lieu d'une matinée de travail, tout sera plié en 2 h, et le plaisir du travail accompli grâce à l'entraide traditionnelle, naturelle, de cette communauté de travailleurs de la terre fait plaisir à voir.

Il fait chaud en cette fin de matinée quand nous nous lançons au milieu du champ de citrouille. Souffrant d'un haut taux d'humidité, tout le monde sue a grosses gouttes. Le principe de cette récolte est assez simple. Un tracteur tire une charrette où nous avons disposé 5 grosses boîtes en carton reposant sur des palettes. Deux personnes se tiennent debout, ayant pour rôle de recevoir les citrouilles fraîchement cueillies par deux hommes respectueusement placés de chaque côté du tracteur, un gros sécateur dans la main. Une citrouille, ce n'est pas vraiment lourd, et elles passent de main en main après un petit envol de quelques mètres. Souvent, les "sécateurs" sont trop loin pour faire passer directement leurs récolte au chariot et c'est là qu'intervient votre conteur en courant auprès d'eux pour faire le relais et gagner du temps.
En short, nos jambes seront meurtries par les milliers de petites aiguilles que les plants de citrouilles portent sur eux, mais notre objectif est accompli !

Le jour suivant, on n'aura pas spécialement besoin de moi, Dick et son fils (celui qui se prépare à prendre la relève) étant occupé dans leurs tracteurs respectifs. Je m'occuperai alors du jardin avec Kareen.
Et enfin, le dernier jour, notre journée sera occupée par une récolte de maïs un peu particulière. Ayant récemment cassé leur moissonneuse-batteuse, ils possèdent maintenant un matériel qui, au lieu de récolter par le devant du tracteur, le fait sur le côté. Cela nécessite donc une certaine place. Le hic est que leur champ est accolé à celui des citrouilles. La solution : les Amish !
En effet, ces derniers utilisent une machine vieille de plus de 70 ans, tractée par un cheval, et qui s'enfonce entre les rangs de maïs. Dick utilisera le savoir-faire d'un de ces derniers ainsi que leur matériel pour ouvrir un passage dans le champ avant de finir le travail avec les machines habituelles.

Ceci est un parfait exemple de la nature des liens qui unissent Dick à cette communauté amish particulièrement présente dans cette petite région. 50% des fermes de la région sont amish, tout le tourisme y est consacré, et de nombreux ateliers de meubles dans le pure style amish finissent de compléter l'économie du secteur. Grâce à Dick et sa longue et cordiale expérience avec cette communauté, et les différentes rencontres que je ferai en sa compagnie durant ces trois jours, je crois avoir atteint un degré de compréhension que je désirais.
Forcément, comme je pouvais m'y attendre, tout est bien plus complexe qu'au premier abord.
Comme je l'écrivais plus haut, les Amish sont une secte catholique pour qui la religion est le centre de leur vie. Persécutés en Allemagne, ils sont venus se réfugier ici. Ils parlent, pour la plupart, allemand entre eux et nombre de leurs traditions se rapportent à une vie allemande.
Et si on peut dire, sans se tromper, que tous ont conservé cette tradition orale, la généralité s'arrête à peu près là. Car on ne peut pas parler d'Amish, mais des Amish.
Quand on pense à eux, on imagine tout de suite des bonshommes déguisés à la mode d'il y a 150 ans, vivant sans électricité, sans eau courante, se baladant en "buggys", ces charrettes couvertes (quoi que pas toutes), utilisant seulement de vieilles machines agricoles, bref, rejetant toute forme de modernité. Encore une fois, la réalité est plus complexe et, à vrai dire, le premier Amish que je vis conduisait effectivement sa charrette d'une main, mais tenait son portable de l'autre, écrivant un SMS.

On peut globalement schématiser trois branches au sein de cette communauté :
- les Amish traditionnels, où toute machinerie moderne est effectivement rejetée, très refermés sur leur communauté. Ils suivent les règles d'habillement à la lettre : chemise blanche, pantalon noir, chapeau de paille pour les hommes, robe monochrome et d'une pièce pour les femmes.
- des "entre-deux", où certains aspects de notre monde moderne ont réussi à trouver leur chemin. Les portables par exemple, ont été "autorisés" pour faciliter la vie de ces vendeurs ou agriculteurs. Mais, d'un autre côté, ils n'utiliseront pas de voitures à moteur. Ni, en général de tracteurs. Ou alors, ils utiliseront un tracteur, mais remplaceront les pneus par des roues uniquement métalliques et tracteront ces vieilles moissonneuses datant du début du siècle précédent. Leur habillement reflétera également cette ouverture, même s'ils en resteront au classique chemise / salopette / robe d'une pièce, de la couleur venant égayer le tout. Cela reste sobre, mais du bleu, du vert, du violet parsèment maintenant les champs.
- et enfin, vous croiserez des Amish complètement ouverts sur le monde, conduisant des voitures, par exemple. Quelques traditions restent présentes, comme le port de la barbe sans moustache à partir du moment où vous vous mariez (ce qui me vaudra d'ailleurs l'amusante question "es-tu marié ?" par l'un d'entre eux !)

Oui, en gros voilà ce que j'ai pu effleurer du regard, en trois jours, dans ce coin de pays.
Depuis ma paillasse (au premier sens du terme), alors que la nuit était déjà tombée, je m'endormais souvent avec ce cliquetis reposant des sabots des chevaux tractant des buggys. En fermant les yeux, il m'était très facile de remonter le temps.

Kareen, moi et Dick...et l'un de leurs chiens
Et puis vient le temps de repartir. Depuis deux jours déjà, je souffrais d'une légère fièvre, plus désagréable qu'incapacitante. Mais tant pis, je croisais les doigts pour que la route en pouce se passe sans trop de problème, car je ne me sentais pas très vaillant face à une journée de galère.
Après une photo souvenir avec mes hôtes, quelques dollars supplémentaires en poche, me revoilà sur la route. Apres 1 h d'attente, au pied d'une station essence je me décourage, et décide de prendre une pause dans le magasin de la station. J'en profite pour demander confirmation de ma direction.
Hmm, c'est bien ce que je craignais : je faisais du pouce dans le mauvais sens !
Même sans panneau, le dieu du pouce a fini par me le faire comprendre. Et, cette fois-ci, du bon côté, je n'eus pas à attendre plus de 5 minutes ! Il n'y a pas de hasard que je vous dis !

De ride en ride, je me fais récupérer par un vieux bourlingueur qui s'en revient juste de ses 24 jours de mer le long de la côte d'Alaska à bord d'un porte-container ravitaillant les villes isolées du coin. Il habite la prochaine ville sur mon trajet, à 30 minutes de là. Entre temps, nous aurons le temps de bien discuter. Ce passé qui le lie à mon présent l'incite à me filer un coup de main. N'ayant rien à faire  cet après-midi, il me conduira 1 h 30 plus tard, à la ville que j'avais repérée comme étape : Chestertown, Delaware.
(petite parenthèse : vous lirez et entendrez un Américain, lorsqu'il parle d'une ville, ajouter l'Etat dont elle dépend. Ceci est quasi obligatoire car on se rend compte que le même nom de ville est utilisé plusieurs fois dans différents Etats. Parfois même au sein d'un même Etat !)

Dans le port de Chestertown
Le Saltana, réplique parfaite d'un bateau du XVIIIe s
Je me trouve ainsi de plus en plus proche du cœur historique originel des Etats-Unis. Le Delaware, le Maryland, la Virginie (mon prochain Etat au sud), sont ces Etats où les "pères fondateurs" des Etats-Unis ont fait rouler les tambours et cracher les fusils pour arracher une indépendance sanglante aux Anglais. Chestertowm, alors encore en pleine guerre, reçut, par exemple, la visite de Washington. La ville est ravissante, elle respire l'ancien, ses bâtisses construites en bois dans le pure style victorien ou encore en briques dans un style plus anglais, rendent ses rues particulièrement agréables. Le port l'est tout autant. C'est là où je compte passer ma nuit avant de continuer ma route le lendemain. 
Art de rue : un discours fameux, 
une perruque, un balcon
Ouvert à tous !

Une espèce de grosse passerelle d'observation, sur pilotis, au bord de l'eau, abrité par un toit mais ouvert aux quatre vents, un peu à l'écart du port et ainsi de la population "nocturne", constituera un parfait abri pour la nuit, terrassé par la fièvre qui ne m'aura pas quitté de la journée (je n'aime pas prendre de médicaments, les réservant en général pour la dernière minute, avec l'idée que les utiliser trop fréquemment réduit leurs effets par habitude de l'organisme).

Les derniers rayons de lumière sont déjà loin, je suis plongé dans ma lecture du soir, quand un homme m'interpelle. Dans la pénombre, je m'attends à voir pointer le badge d'un policier, mais il n'en est rien. A la place, des cookies et une baguette... pour moi !
Il se nomme Michael, et travaille comme pâtissier à la boulangerie de la ville. Il était passé plus tôt dans la soirée, sans que nos regards se croisent, et avait décidé, sur le chemin de sa maison, de revenir, rien que pour moi, avec ses présents. J'adore ce voyage !

Michael qui m'explique comment cuisiner
 des croissants et pains au chocolat... un comble !
 
Etre témoin, mieux, vivre ce genre d'attentions, reste pour moi toujours quelque chose d'extraordinaire. Motivée par une sincère gentillesse bienveillante, une rencontre voit le jour, et tout devient rapidement naturel. Deux heures de discussions plus tard, mon programme pour la journée suivante est tout tracé : j'ai rendez-vous dans la boulangerie ou il travaille pour venir tester les croissants tout frais du matin et donner mon avis de Français. Pour que vous compreniez bien le tableau, une boulangerie aux USA, et même au Québec, est quelque chose de rare, de la quasi haute gastronomie. Une excentricité que les gens regardent d'un drôle d’œil avant d'être conquis par nos spécialités bien françaises !  

Autant dire que c'est avec un regard plein d’appréhension que Michael, pâtissier donc, et Doug, le boulanger, me regardent déguster leurs pains au chocolat et baguettes. Cela m'amuse et fait durer le suspens... jusqu'à leur confirmer le sourire aux lèvres, que tout ceci est digne des meilleures boulangeries de ma patrie, et que j'ai eu l'occasion d'en manger des bien pires !
French approved, comme ils disent ! Et en matière de croissants et de baguettes, cela a son importance !
Bien plus encore que de me réjouir à retrouver un de ces goûts de mon pays, Michael m'ouvre les portes de son appartement pour autant de jours qu'il me plaira. Je vais rester donc là au moins une nuit supplémentaire, un concert est organisé ce soir dans les locaux de la boulangerie (oui parce qu'ils font café aussi en même temps), autant en profiter !

Bref, comme d'habitude, je reçois et découvre toujours bien plus que je ne l'imagine au début. Rencontrant toujours de formidables bonshommes qui, bien avant d'être Canadiens, Québécois, Américains sont des êtres humains, aurai-je envie de dire, planétaires, qu'aucune frontière, préjugés et autres généralités débiles ne peuvent empêcher de se lier les uns aux autres.

Prochaine étape de ce voyage toujours aussi formidable, Williamsburg, Virginie. Village entièrement reconstitué et habité comme au XVIIIe siècle. Une parfaite façon, selon tous ceux avec qui j'ai pu discuter, de se faire une idée de ce qu'était la vie aux premières heures des Etats-Unis.

A bientôt, je reviendrai peut-être demain ici, histoire de rajouter des photos.
Portez vous bien !

jeudi 5 septembre 2013

Jour 63 - Cape May, New Jersey, USA - 700 km environ

Salut à tous ! 
Denise, moi et Pierre, devant la grange
fraîchement restaurée, à la veille du départ

Oui... je sais, mais que voulez-vous, je n'ai pas trouvé d'ordinateur sur ma route depuis, ou je n'ai pas eu ou pris le temps d'utiliser ceux qui auraient pu être à ma portée. Tout s'est enchaîné si rapidement, pris dans ce flot continu de nouvelles aventures, m'arrêter pour vous les conter était impossible.

Anyway, comme ils disent, me voilà ! Et je n'ai que 50 minutes de connexion pour le faire !

La dernière fois, j'étais encore au Canada, m'apprêtant à quitter mes formidables et inoubliables hôtes, Pierre et Denise.
Notre émouvante relation, ressemblant à celle que pourraient entretenir des grands-parents avec leur petit-fils, s'est donc finalement terminée après que Pierre et moi ayons fini de rénover deux des murs de la grange. Les jambes parcourues de fourmillements à l'idée de reprendre la route à pied, et de me rapprocher toujours un peu plus des USA me poussa à les quitter non sans la gorge nouée par l'émotion. Cela restera pour sûr l'une de mes plus fabuleuses rencontres de ce voyage. Où ce que nous avons mutuellement échangé est inquantifiable et indescriptible... mais si puissant !

La chute à Picot !
En les quittant au matin, je me relance sur le sentier là où je l'avais donc quitté trois semaines auparavant : au centre du village de Saint-André. Après une demie-journée de marche, j'arrive finalement à la fin officielle du SIA au Québec à Matapedia... une étape de plus ! En continuant sur le sentier, qui nous fait franchir la rivière marquant la frontière entre le New Brunswick et le Québec, plusieurs sentiments s'entrechoquent déjà en moi.
D'ores et déjà, je ne prends plus de plaisir à marcher seul. Même si la motivation d'avancer est là, le plaisir de découvrir de nouveaux horizons au rythme lent de ma marche ne me suffit plus. A ce moment, je n'avance plus que pour une chose : atteindre les Etats-Unis et plus particulièrement l'Appalachian Trail, où, je veux le croire, je ne serai plus seul, et où, donc, le plaisir sera là !
Matapedia !

Le New Brunswick, là où passe le sentier est une grande étendue de forêts, plutôt plate et à vrai dire, beaucoup de mes lectures la décrivait comme une étape pas très excitante... il n'en fallait guère plus pour qu'à la fin de cette première journée de marche, réalisant à quel point les USA étaient encore loin (deux à trois semaines), aidé par le fait que le trail suivait une route, je tends le pouce en l'air. Ma décision était prise : je rejoindrais Katadhin, et le début de l'AT en faisant du pouce. A quoi bon s'obstiner dans quelque chose qui n'amène aucun plaisir lorsqu'on peut l'éviter ?

Bienvenue dans le Maine et aux USA !
Ainsi, le soir même, après juste deux lifts, je me retrouve à 10 km de la frontière US... demain j'y serai !
Le dernier lift qui me déposera au pied de la montagne rêvée depuis tant de mois et même d'années, mérite que je prenne le temps de vous le décrire : un vieux bonhomme de 85 ans, ridé par la vie, comme si, juste en regardant sa peau l'on pouvait lire toute son existence. Dans sa voiture, un tricycle occupe tout l'espace et c'est avec souplesse que je finis par trouver ma place dans l'habitacle.
- Et ou est-ce que tu vas ?
- Millinocket, et vous ?
- Au sud du Maine... mais je vais te déposer là où tu vas, j'y suis déjà  allé il y a longtemps.
- Mais cela va vous faire faire un immense détour ! 100 ou 150 miles au moins !
- Oui, mais tu sais, à mon âge, on a tout son temps !

Et nous voilà partis. Parfois, en auto-stop, on se fait récupérer par des gens très gentils, mais peu bavards, et j'avoue être gêné par ce silence qui s'installe parfois. Là, vraiment, je n'ai jamais eu à m'en soucier.
J'apprends très vite qu'il est un ancien professeur, mieux encore l'ancien fondateur d'une école privée.
- Et quelle genre d'école était-ce ?
- J'apprenais au gens à faire ce que tu fais.
... comme par hasard !

Mon premier ours, au détour d'un chemin !
Un petit... où est la mère ?!
En plus précis, c'était une école du genre à vous mettre dans une situation "inconfortable", genre coucher dehors, et apprendre au travers de cette expérience.
- Mon boulot, c'était de m'assurer que mes élèves allaient pouvoir se planter autant de fois qu'ils le pourront MAIS dans la situation la plus sécurisée.
J'ai adoré cette vision de l'apprentissage. Comme lui, je suis persuadé qu'une grande partie de nos connaissances proviennent d'apprentissages liés à nos erreurs.
Autant dire que l'on s'est bien entendu !

Arrivé à destination, je descends de la voiture, vraiment heureux d'avoir pu discuter avec ce "puits de connaissances" comme j'aime appeler ces vieilles personnes avec lesquelles on prend vraiment conscience de tout ce savoir accumulé par l'être humain au fil de sa vie.
Dans ce qui aurait dû être les dernières secondes de notre rencontre, il entame une confession aussi émouvante que brutale. A cœur ouvert, les larmes remplissant ses paupières.
- Merci, me dit il
- Pourquoi ?
- Parce que grâce à toi, j'ai pu encore un peu plus faire ce qui me motive à continuer à vivre. Tu sais, j'ai eu une relation très proche avec mon père, comme de vieux amis, tout au long de sa vie. A la veille de sa mort, il me rassura en me disant qu'il serait vivant à tout jamais à l'intérieur de mon esprit, et de tous les esprits de ceux qui avaient croisé sa route. C'était ça, pour lui, la vie éternelle, laisser une trace à tout jamais dans l'esprit des autres. Lorsqu'il est mort, je me suis promis de le faire vivre éternellement, en laissant moi aussi, une part de moi-même à l'intérieur des autres. Après notre discussion, je sais que cela sera le cas à travers toi. Merci pour cela.

La gorge nouée, les mots furent difficiles à trouver. Peut-être parce qu'il n'y a rien à dire. Certaines choses n'ont pas besoin qu'on les enferme dans des concepts "langagiers".
Oui... voyager en faisant du pouce, c'est ce genre de rencontres aussi. Brèves mais si puissantes que encore bien plus tard, le sentiment reste le même. Tout comme la part de cet "Old Man" qui, à tout jamais, fera partie de moi, le faisant vivre éternellement. Merci !

Depuis le sommet de Katahdin
Après l'avoir quitté, non sans émotions, je me rends à "l'Appalachian Lodge and Cafe", hostel qui, même si non affilié au sentier des Appalaches, reçoit la majorité des thru-hikers ayant terminé leur marche de plusieurs mois. Autant dire que, du jour au lendemain, le petit hiker seul sur le sentier au Canada, se retrouve plongé au cœur d'un des plus intenses moments de tout le trail : la fin, la réussite pour des personnes venant de vivre l'une des plus grandes aventures de leur vie. L'énergie qui y règne est particulière. Electrique, où la confiance en soit, la satisfaction de chacun est presque palpable dans l'air. Le bonheur, la joie, l'entraide évidemment.

J'y coucherai une nuit, préparant l'ascension de Katahdin en glanant des informations au fil de passionnantes discussions. Au petit matin, je tends le pouce pour sortir de la ville et entrer dans le Parc Baxter comme des centaines de randonneurs, à 6 h du matin.
Très vite, me voilà au pied de la montagne, mon gros sac à dos pesant une tonne, en préparation des 6 jours d'autonomie que je devrai traverser après cette ascension. La montée est dure, en particulier lorsque le sentier ressemble plus à de l'escalade qu'à de la marche, entre ses gros blocs de granit. Finalement, après 4 h de grimpette, me voilà au sommet. La gorge se noue encore... depuis combien d'années  ai-je rêvé de ce moment ? Deux, trois peut-être ! Une photo souvenir, une pause où j'en profite pour faire le point sur ma motivation, et quelques minutes plus tard, je repars, avec la volonté de continuer à marcher encore un peu, même si je n'en perçois plus le besoin.
Apres 3 ans de rêve,  j'y suis !
Quatre jours, j'aurai finalement tenu quatre jours ! Chaque soir, aux abris destinés aux randonneurs, je rencontrais de formidables personnes. Un groupe de thru-hikers, huit au total, à deux jours de terminer leur marche de 5 mois me laissent une agréable impression. La soirée aura été vraiment agréable. Mais au matin, ils s'en vont au nord... et moi au sud.

Deux jours plus tard, bien qu'aucune difficulté physique ne m'accable, je prends conscience de l'absurdité de mon entreprise.
- A quoi bon continuer quand, pour sûr, je n'y trouve plus aucun intérêt ? Serait-ce simplement par peur de ce que vont penser ceux à qui j'ai annoncé, il y a plusieurs mois de cela, que j'allais marcher tout le SIA que je continue ? Si c'est cela mon gars, arrête cela tout de suite. Si tu veux être heureux, tu connais la recette, ne suis pas le désir des autres, mais uniquement et simplement les tiens !
Alors... qu'est ce que tu veux ?
...
Découvrir le monde, découvrir les USA, me mêler à ses habitants pour tenter d'appréhender ce qu'est la vie ici. Et ne plus rester sur ce sentier qui, au contraire m'écarte de ces derniers, ou qui, au minimum, ne me montre pas le "monde réel".
Oui, c'est décidé, j'en ai fini avec le sentier !

Au loin, Katahdin
Et abandonner ce plan préparé depuis des années pour un autre ne me causa aucun regret. Au contraire, j'étais enfin heureux à nouveau, je venais enfin d'arrêter de me mentir à moi-même, je venais enfin de m'écouter, écouter mes désirs les plus profonds.

Le lendemain de cette décision, le sourire aux lèvres, je marche pour la dernière fois sur ce sentier, croisant les membres de cette communauté à laquelle je ne ressens plus le besoin de faire partie. Je suis déjà bien plus loin que mes pieds !

J'avais repéré une route, l'une des rares qui traversaient cette section du sentier. Cette route de terre allait me mener 14 km plus loin à la route principale, où, de là, je pourrais m'évader sur les routes, le pouce en l'air à nouveau, attendant que la providence me fasse de nouvelles joyeuses surprises... je n'eus pas a attendre longtemps...

Le fameux groupe de thru-hikers durant le BBQ party.
Au premier plan, couché, Maniac, mon bienfaiteur !
Encore sur cette route de terre où je m'attendais à ne croiser personne, un van s'annonce derrière moi : je le reconnais, c'est le propriétaire de l'Appalachian Lodge and Cafe qui vient de livrer de la nourriture au milieu du bois ! Comme par hasard...
Il me récupère, forcément, et me dépose ainsi bien plus tôt que prévu sur la route principale. Mais allant dans des directions opposées, nos routes se séparent à nouveau.
Planté sur mon sac à dos, au bord de la route, jouant de ma guimbarde vietnamienne, deux voitures se suivant de près et me dépassent. Remplies à ras bord, il n'y aurait de toute façon pas eu de place pour moi... sauf que... Sauf que, l'un des occupants s'appelle Nicolas, de son trail name "Maniac", et qu'il fait partie de ce groupe de hikers avec qui je m'étais senti particulièrement bien, au soir de cette deuxième soirée.
Et il m'avait reconnu !

En route pour un boat-trip sur la côte du Maine
au soleil couchant !
Quelques 30 secondes plus tard, je vois débarquer les deux mêmes voitures et un jeune homme en sortir. Habiller proprement, je ne le reconnais pas tout de suite.
- Mais qu'est ce que tu fais là ?
- Et bien, j'ai finalement décidé de quitter le sentier, j'ai envie de découvrir ton pays pour de vrai !
- Où vas-tu ?
- Je ne sais pas trop, au sud, la côte du Maine m'attire. Et vous ?
- Et bien au sud, à Brunswick. Dans le Maine... sur la côte. Tu veux venir ?

J'adore ce voyage !

Karen et sa maman. 
C'est avec elles que j'ai RDV à Dallas !
Très vite, j'apprends que le lendemain est organisé un gros barbecue avec tous ses anciens potes hikers, et plus de 50 personnes : famille, amis, cela va être une grosse fête. Et j'y suis invité de bon cœur !
Je campe dans le jardin, comme pour opérer une transition tout en douceur après cette vie dans les bois et le monde civilisé.
Je me lis d'amitié très rapidement avec une des cousines de Nicolas. Karen, 35 ans, qui a fait le déplacement depuis Dallas, au Texas, où elle vit avec son mari et ses trois enfants, pour voire cette branche de la famille qui vit loin dans le nord.
Lui exposant mon trip, ma façon de voyager, la proposition ne se fait pas attendre :
- Viens chez nous ! On a plein de trucs à te faire faire, et tu pourras te servir de notre maison pour aller à droite et à gauche. Et à vrai dire, j'ai un service à te demander en échange... cela te dirait d'apprendre le français à ma plus petite, elle a 9 ans.
- Waouah ! Ouais, j'adorerais !

Juste avant le départ pour Boston. Toute la famille !
Et c'était scellé, le deal était fait. Avant Halloween, je serai chez eux, pour X temps avec comme objectif de frenchiser toute la famille ! Je l'accompagne, elle, sa mère, et sa grand-mère, sur le chemin du retour, ils prennent un avion depuis Boston jusqu'à Dallas.
Après une photo souvenir avec toute cette famille rencontrée, une tape amicale dans le dos de mon bienfaiteur Nicolas, qui, sans le savoir a déclenché on ne sait combien de conséquences en me reconnaissant, et me voilà dans les rues de Boston, à nouveau seul.

New-York, Broadway, en direction de Times Square
A vrai dire, cela fait du bien. Après avoir pris la décision de quitter le trail, et ces rencontres nombreuses et intenses je n'avais pas eu le temps de vraiment penser à moi. A cette décision. Aucun regret, j'étais juste bien. Heureux, avec l'agréable sensation d'être juste là où je devais être.
Je passerai le reste de la journée à aller, de bus en bus, dans des magasins. Premier investissement, un lecteur de livres électroniques pour 70 $. Avec cette petite merveille qui tient plusieurs centaines d'heures de charge, je me trimbale d'ores et déjà avec 20 livres dans mon sac. Quel plaisir ! Lire sans limite, sans contrainte de place ou de poids, le bonheur ! Depuis l'achat, soit 5 jours, 3 livres entiers sont déjà passé sous mes yeux... et pourtant, dieu sait que j'ai été occupé !
Après cet achat, je me procure un guide Lonely Planet de tout l'est des USA ainsi qu'une carte routière uniquement concentrée sur cette région.
Pourquoi simplement là ? Parce que je pense ne visiter que cette partie du pays, m'arrêter à Dallas quelque temps, pour reprendre ensuite ma route vers le continent sud-américain à travers la Floride et les Caraïbes.

Ça fait tache ! C'est ça qu'est bon !
En fouillant le guide, je me rends compte combien je suis proche de New-York. Et même si je n'aime pas les villes, je me dis que je n'aurai pas d'autres occasions avant longtemps de remettre les pieds dans ce coin du monde, et que cela serait bête de rater cela. Rien que pour enfin avoir des "vraies" images de ce qu'est Central Park ou Time Square, je me rends à la station de bus de Boston.
- Plus de billet pour cette nuit, Sir, il faut attendre le prochain départ de demain matin 8 h, me lance le guichetier fatigué par une journée de travail que je devine longue et ennuyeuse.
Avec le ticket en main, j'ai l'autorisation de dormir à même le sol de la station de bus... finalement, sur le sentier ou non, rien ne change vraiment !

Buildings, forêt, lac, gondoles, 
accrochez-vous, vous êtes à New-York 
et c'est complètement normal !
5 h de route plus tard, et me voilà dans la ville. On nous fait débarquer à trois blocs de Times Square. Je vous dresse le tableau de la cocasserie de la situation : un bonhomme en short, Tshirt jaune sali par la transpiration de ses journées de marche, des chaussures de randonnées terreuses aux pieds, un gros sac à dos rouge sale auquel est accroché un tapis de sol ridé par 4 mois d'utilisation... à New York, sur Broadway Avenue, en plein milieu de Times Square. Ça fait tache. J'adore !
Manhattan est comme on le décrit. Démesuré, gigantesque. Les arbres sont remplacés par des hautes tours d'aciers et de béton qui plongent certaines rues dans une pénombre quasi continue. Du monde. Des gens de partout. Beaucoup d'ethnies différentes se côtoient. On entend de l'anglais aux accents différents, de l'espagnol, du mandarin, du japonais, du français aussi. Bref, on a comme l'impression d'être dans un lieu où on aurait compressé le monde, où toute la diversité de l'humanité serait en voie d'être rassemblée en un seul point.

La statue et un fantôme...
D'un côté, je trouve cela fascinant. Mes rêves d'une planète sans frontière divisant les peuples deviennent à chaque fois réels lorsque je me balade dans ces cités transnationales. Mais lorsque je vois ce qui les abrite, mon cœur se serre. Comment peut-on vivre dans un cadre gris, métallique, où les fenêtres reflètent à l'infini la perspective d'autres buildings ? J'arrive à le comprendre... difficilement.
Times Square, ce lieu symbolique, croisement de deux avenues marchandes où ce qui se fait de "pire" dans notre monde capitaliste s'étale en trois dimensions. Impossible de le rater. Sur des dizaines de mètres de hauteur, et centaines de long, les écrans clignotants s'excitent, s'acharnant à vous attirer le regard, vous mettre en tête qu'il faut CONSOMMER ! Je suis vraiment dégoûté et me sens vraiment mal à l'aise.  J'ai vu. Je n'y reviendrai plus.

Le musée d'histoire naturelle
Ma route vers mon hostel me fera longer Central Park. Ce poumon vert, sans lequel, à mon sens, les êtres humains de cette ville deviendraient fous, me redonne le sourire. J'en viens à apprécier les environs.
Je passe devant le Musée d'Histoire Naturelle, qui, avec la ville dans son ensemble est la seconde et dernière raison qui me décidait à passer une nuit ici. Cela sera pour demain. Au programme de ce soir, trouver un endroit où dormir, et redescendre à travers le parc jusqu'à l'extrême sud de Manhattan pour grignoter un truc en regardant la statue de la Liberté.

Au cœur de Central Park
Dans le parc, je croise le regard d'un SDF assis sur un banc. La conversation s'engage et je me retrouve à faire du social en plein New-York. Donner un coup de pouce, un encouragement, un peu de cet enthousiasme que je crois communicatif à cet homme. Cela me permettra d'en apprendre plus sur "la vie new-yorkaise", d'un point de vue... disons... qui en a vu des vertes et des pas mûres.
J'espère de tout cœur que notre petite discussion l'aura aidé d'une façon ou d'une autre à s'en sortir, je l'espère vraiment pour lui.

Rapide résumé de la situation...
Je continue mon chemin, m'enfonce dans ce métro où nombre d'événements des histoires de mes précédentes lectures s'y sont déroulées. Je descends droit au sud. Je ressors à deux blocs de l'ancien emplacement du World Trade Center, remplacé maintenant par un grand chantier, et un peu plus loin, un memorial-musée. Un pincement au cœur me prend,  tout ceci devient très réel, toutes ces personnes mortes ici, en ce 11 septembres 2001, en direct, alors qu'à des milliers de km de là, un jeune garçon de 11 ans regardait, dans son salon, médusé, tentant de comprendre avec son imagination d'enfant ce qu'il se passait. Si loin, si proche.

La nuit est tombée et la statue de la Liberté rayonne sur la baie. Drôle de moment de me retrouver face à ce symbole de liberté à la veille d'une nouvelle phase de mon voyage. Cette étape où le randonneur laisse la place au voyageur libre, avec pour seul objectif le sud approximatif de sa boussole.

Le hall du musée qui ne veut pas de moi...
Le lendemain, le programme est simple : visiter quelques heures le musée d'histoire naturelle et reprendre un bus pour quitter la ville en direction de la côte du New Jersey. Côte Est qui me servira de fil rouge pour atteindre le Texas, dans un peu plus d'un mois.
Aux portes du musée, une fouille quasi similaire à l'entrée dans un avion m'oblige à expliquer avec mon plus beau sourire pourquoi je charrie une bouteille de gaz, des couteaux et autres trucs de terroristes. Finalement, je crois que la longueur de la file d'attente qui s'étendait pendant que je causais plus que mes arguments pas très convaincants décide le gardien de me laisser entrer. Mais avant, je devais déposer mon lourd sac à la consigne... sauf que la "consignatrice" n'accepte pas la nourriture dans les sacs... et j'avais la moitié d'une épicerie sur mon dos...

Fâché, en colère contre ces règles à la con, je quitte les imposantes portes de ce musée, bien décidé à quitter cette ville qui ne me retient pas.
Le premier bus me dépose à Atlantic City, un genre de Las Vegas de la côte est, en bien plus petit mais tout autant débile. Je ne m'attarde pas et prend un bus quelques minutes plus tard sur la côte sud, un peu moins peuplée. Mon objectif, la ville de Wildwood que j'imagine, comme son nom l'indique, bien plus petite... Une heure plus tard, en fin de journée, j'aperçois vers quoi je me rends : buildings, touristes... à perte de vue ! Je n'attends même pas d'être à la station de bus de la ville, en son plein cœur, pour sauter hors du bus au premier arrêt, à l'entrée de celle-ci... et je tends  le pouce, enfin !
J'ai utilisé les bus pour quitter la gigapole car dans ce genre de grosse cité, le pouce y est difficile, plus dangereux et vraiment interdit. Mais cela me manquait, et voir tous ces kilomètres disparaître sous les roues de ce véhicule rempli à ras bord mais où personne ne rentre en contact avec son prochain, me donnait l'impression de rater autant d'occasions de rencontrer des gens formidables.


Kevin !
Ainsi, à nouveau sur le bord de la route le pouce au vent, je me sens presque revivre, et je n'aurai pas à attendre longtemps pour que le miracle du pouce s'abatte encore sur moi.
Il s'appelle Kevin, 50 ans, homme bricoleur à tout faire, habitant à Cape May à 30 minutes d'ici ; il passe par là rarement... mais il suffit d'une fois !
Nous étions mardi, et seulement aujourd'hui nos routes se sont séparées dans cette bibliothèque de sa ville.
Entre temps, en échange de son toit, je l'aide sur différents travaux : construire une table de pique-nique, installer des gouttières, nettoyer les soubassements d'une maison. C'est fun, et cela fait encore d'autres compétences manuelles !
Entre temps, deux univers se rencontrent. Kevin est un catholique croyant et pratiquant comme beaucoup d'Américains. Mais là où certains se font enfermer par des rituels, des dogmes, celui-ci est très ouvert à mon esprit cartésien, scientifique. Et durant nos longues discussions qui s'étendront tard dans la nuit, nous réaliserons combien, finalement, le message de base reste toujours le même, seul le vocabulaire pour le décrire change. Cela sera encore une de ces rencontres où deux personnes ressortent de cet échange grandis. Où, comme de vieux amis, ces derniers ont parlé a cœur ouvert, tout naturellement.

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(la bibliothèque ferme ses portes... je dois y aller. La suite pour bientôt je l'espère avec des photos !)

Programme pour les prochains jours : rejoindre les environs de Philadelphie et m'arrêter dans le territoire des Amish pour découvrir leurs façons traditionnelles de vie.
Reprendre ensuite la route tranquillement au fil des rencontres avec un dernier objectif avant Dallas : la Louisiane, avec New-Orleans et surtout les petites villes de ce territoire peuplé par les descendants des Acadiens, déportés ici par les Anglais, on les nomme les Cajuns.

A bientôt !